Deux heures dans la grotte Chauvet – Partie 5 : Le retour au présent

Je remonte juste avant Charles. Arrivé en haut de l’échelle Paulo me délonge, me relonge. En observant les traces de l’élargissement, je ressors lentement. Puis je me sens coincé, tiré en arrière, impossible d’avancer. J’ai oublié d’enlever la longe que Paulo m’avait mise. Je reviens en arrière, me libère et fini de monter. Je me demande comment ils ont pu aménager le passage qui ne ressemble en rien à la description de Jean Clottes de 1995, sans laisser de trace au fond (fig. 5 de [1]). A moins que les éclats de calcite en dessous ne soit ceux de l’élargissement plutôt que ceux de la première ?

Je range mes chaussons et mets mes chaussures, en mesurant tous mes gestes comme si la moindre erreur pouvait être fatale. Je suis dans un état second, hésitant, pas sûr de moi. Je sors rejoindre les autres. Paulo arrive rapidement et je m’aperçois que j’ai oublié ma veste à l’intérieur. Je frappe à la grosse porte blindée et comme par magie, elle s’ouvre… Je rentre prendre ma veste et ressort aussitôt. 

Devant la porte Micky fait quelques photos du groupe pour marquer cette aventure. Cela me rappelle les touristes après une sortie spéléologique.

Enfin, nous filons nous déshabiller devant la bergerie du Planchard. Après avoir rendu la combinaison et le baudrier, je file m’asseoir sur le banc de bois sous le treuil face aux gorges. Je suis assommé par ce qu’il vient de m’arriver. Je ne pense à rien, je suis vidé. Michel vient me chercher au bout d’un moment. J’ai l’impression que je suis resté assis là qu’une fraction de seconde, et je suis surpris de voir que tout est rangé et que, sur la table, le café est servi et qu’il ne reste partiquement plus de gâteau sec…

Ce liquide chaud qui descend dans mon œsophage et ces biscuits que je grignote me remontent les pendules. Il est temps de descendre aux voitures.

Nous saluons nos guides et nous rentrons à la petite maison échangeant nos émotions. Tout de suite j’ouvre le livre de l’équipe scientifique pour visualiser le panneau de la salle du Fond, le pendant du sorcier et son étude (fig. 161, 162, 163 de [1]). Compte tenu de la disposition des passerelles, nous ne pouvons pas le voir aussi bien dans la grotte que sur le livre. J’imagine une symbolique de cette composition. un triangle pubien, symbole de la féminité, magnifiquement stylisée, se mélange à l’homme bison. Et cette union est englobée sous la tutelle de l’esprit du lion des cavernes, magistral force de la nature.

Nous nous attablons, mais je ne peux rien manger. Je suis abasourdi par tout ce que je viens de voir et surtout par le niveau artistique, esthétique, naturaliste et muséographique des représentations de cette grotte. J’estimais déjà beaucoup les préhistoriques de l’époque, mais là cela dépasse tout ce que je pouvais imaginer. Un « Futuroscope », un musée d’histoire naturelle et de paléontologie, un lieu de culte, et tout ceci dans une grotte remarquable par ses volumes, ses formes de creusements, ses cristallisations, ses remplissages.

Nous pouvons nous féliciter de la politique de préservation mise en œuvre et remercier aujourd’hui toutes les personnes qui ont eu la chance de rentrer dans cette grotte de ne rien avoir déterrioré. Nous pouvons féliciter les chercheurs pour lesquels l’étude ne doit pas être simple. En effet ils doivent inventer de nouveaux protocoles expérimentaux pour étudier les vestiges qu’ils ne peuvent pas toucher.

J’attends avec impatience les nouveaux résultats des études en cours par l’équipe de scientifiques qui font un travail exemplaire dans ce contexte de protection. Et j’aimerai les inciter à élargir maintenant leur regard afin d’étudier la grotte dans son environnement karstologique plus global.

J’attends aussi avec impatience, l’espace de restitution qui devrait, par respect pour nos ancêtres et pour le plaisir du public, pouvoir nous faire revivre les scènes comme celle du panneau des Chevaux et du panneau des Lions, dans les conditions d’origine. Malheureusement, à sept sur une passerelle de 60 centimètres de large, la vision que l’on en a dans la grotte aujourd’hui, n’atteint pas l’intensité émotionnelle de la mise en scène que l’artiste a voulu créer. Ces scènes de vie animalière d’une esthétique remarquable, avec tous ces plans, tous ces effets, certains animaux disparaissant derrière l’ombre d’un pendant rocheux, d’autres arrivant, doivent être vues avec plus de recul et éclairées par la lumière de deux ou trois foyers flamboyants disposés aux alentours pour donner l’effet de mouvement souhaité par l’artiste.

Ce site impose l’humilité face à la nature et offre une preuve remarquable de la capacité intellectuelle de nos ancêtres préhistoriques. La Grotte Chauvet impose le respect et notre responsabilité face à sa fragilité.

Le rideau s’est levé, en Ardèche, sur un patrimoine intemporel mondial d’hier, d’aujourd’hui et de demain, et nous devrons être à la hauteur de ce site exceptionnel.

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Bibliographie :

[1] : La Grotte Chauvet : l’Art des Origines, sous la direction de J. Clottes, Seuil, 2001.

[2] : La Grotte Chauvet à Vallon Pont d’Arc, J.M. Chauvet, E. Brunel Deschamps, C. Hillaire, Seuil, 1995.

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