Deux heures dans la grotte Chauvet – Partie 1 à 3

Le rideau s’est ouvert il y a 10 ans sur ce site exceptionnel. Un patrimoine mondial avec les plus belles et les plus anciennes représentations picturales connues à ce jour. Sur les traces des inventeurs et des scientifiques qui l’étudient, nous allons vivre deux heures dans ce palais naturel. 

Partie 1 : La préparation 

Mi-janvier, Erwin m’appelle : « Philippe nous avons fait une demande auprès de Dominique Baffier, la conservatrice en chef de la  grotte Chauvet, pour visiter cette grotte exceptionnelle et il reste une place. Nous avons pensé Colette et moi-même que, si cette demande était acceptée, tu pourrais être le cinquième ? Il y a déjà Micky, Josette, Michel et Yvonne, il en faut un autre et en tant que Président du Césame, tu peux être ce cinquième. »
Nous essayons de faire rapidement le tour de la question pour voir si cela pourrait être quelqu’un d’autre, mais ils y avaient déjà bien réfléchi, je serai le cinquième. 

Depuis déjà un mois, je m’étais attelé à la rénovation de notre montage sur l’art pariétal ardéchois et j’apprends aujourd’hui que je vais visiter la Grotte Chauvet… La grotte avec les plus anciennes peintures connues à ce jour, dans un état de conservation remarquable et dans une cavité elle-même remarquable de part ses volumes et ses concrétions. Je me demande pourquoi moi. Pourquoi aurai-je droit à ce privilège ? Puis je me raisonne. D’autres personnes ont déjà visité cette grotte, dont la plupart sans connaissance particulière du milieu souterrain et de la préhistoire ardéchoise. Alors, si j’y suis invité, il n’y a pas à se justifier. J’irai donc la visiter cette grotte et j’en profiterai pour ramener de cette exploration le maximum de renseignements pour tous les autres. Tous ceux qui n’auront jamais l’occasion de pénétrer dans ce sanctuaire préhistorique. 

Je ne sais pas quand aura lieu la sortie, mais je sais qu’il me reste peu de temps pour préparer cette expédition. Tout de suite, je ressens l’ambiance de la préparation d’une expédition exceptionnelle. D’accord la sortie ne durera que quelques heures et tout le matériel nous sera fourni. Connaissant les membres de l’expédition, je sais que je n’aurai même pas à me soucier des repas. Bref aucune contrainte logistique pour préparer la plus belle expédition hors du temps qui s’offre à moi. Même au niveau  physique, je sais que cela me demandera peu d’efforts et que je n’ai pas besoin d’une préparation  particulière.
Je n’ai plus qu’à me remettre dans le contexte vallonnais. Des émotions que j’avais quittées, il y a presque 10 ans, après les dernières rencontres « environnement et pleine nature » de décembre 1995. Alors, comme on relit les comptes rendus d’expéditions, avant de poursuivre une exploration, je relis le compte-rendu que j’avais fait de ces rencontres et me remémore les étapes historiques qui vont mener à la découverte de ce site exceptionnel.
Je me replonge dans l’histoire des aménagements autour du Pont d’Arc, relis les différents  articles sur le sujet que nous avons publié dans « le Temps Présent » (revue des Amis de l’Histoire de Vallon), « Ardèche Archéologie » (revue de la Fédération Ardéchoise de Recherche Préhistorique et Archéologique), « Spelunca » (revue de la Fédération Française de Spéléologie), et « la Botte » (revue du Comité Départemental de Spéléologie de la Loire).
Je reprends la synthèse topographique des cavités de ce massif karstique, débutée depuis les années 80. 

Je relis les grandes lignes du livre La Grotte Chauvet de J.-M. Chauvet, E. Brunel Deschamps et C. Hillaire pour me remettre dans la peau des découvreurs avec lesquels j’ai fait, par le passé, quelques belles sorties spéléologiques.
Avec l’aide des détails de la topographie, j’essaie de visualiser au mieux le parcours qui m’attend.
Je commence aussi la lecture du livre de l’équipe scientifique L’art des Origines sous la direction de J. Clottes pour m’immerger dans le contexte de l’étude. 

Erwin me rappelle : « La sortie est prévue le 11 février », je n’aurai pas le temps de finir ma préparation. J’arrive tout de même dans ma lecture, jusqu’à la page 117, dans la salle Hilaire au niveau du panneau des Chevaux. Cela me laisse la salle du Crâne, la galerie des Croisillons, la galerie des Mégacéros et la salle du Fond comme première, ce n’est pas si mal…
« Une première » en spéléologie, c’est une exploration durant laquelle on découvre des espaces inconnus, dans lesquels jamais personne n’a mis les pieds. Alors même si ici ce n’est pas tout a fait le cas dans la grotte Chauvet, contenu du contexte, c’est tout comme. En tout cas c’est comme cela que je veux vivre cette aventure. 

Une randonnée dans les gorges, fin janvier, organiser dans le cadre des activités du Césame, me permets de finir ma préparation. Nous visitons à cette occasion quelques grottes ornées récemment reconnues et cela me plonge dans l’ambiance des hommes préhistoriques. 

 

Partie 2 : Le départ 

Jeudi 10 février 2005, 18h10. Après une journée d’évaluation d’oraux TPE (Travaux Personnels Encadrés) pour le baccalauréat, à Annonay, je quitte ma petite famille. Je pars de Roisey dans la Loire pour rejoindre Vallon Pont d’Arc. J’ai pris la « Rolls », c’est le surnom de la voiture de Dominique, la mère de mes enfants, une BX millésime de 1990. A la différence de ma « Ferrari », une bien plus vielle BX 19 trd, elle a un poste radio et pour couvrir seul les 160 km. 

Je prends l’autoroute, la radio est inaudible à chaque fois que je double un camion. Finalement je l’éteins et fonce au milieu des poids lourds qui descendent la vallée du Rhône. Cette ambiance bruyante et violente me fatigue. Dommage qu’on ai oublié l’invention des trains, et du transport fluvial.
 
Je sors à Loriol, au sud de Valence, pour changer d’ambiance, et finir « l’approche » par la N86 jusqu’au Teil, puis la D107 jusqu’à Villeneuve de Berg et enfin la vallée de l’Ibie.
Il n’y a que sur cette portion de route où j’ai pris un peu de plaisir avec ce mode de transport d’aujourd’hui, en jouant avec la puissance du moteur, l’efficacité du freinage et l’adhérence du caoutchouc des pneus sur le goudron. 

J’arrive à 20h15 dans la petite maison d’Erwin, où Michel et Yvonne m’attendent.
La table est mise, la soupe est prête. Yvonne nous précise que nous ne sommes pas obligés de manger les fils des haricots que Michel a laissé dans la soupe. Je suppose qu’il n’y a pas de vin car il n’y a pas de verres et connaissant Michel !
Il corrigera cet oubli rapidement suite à une remarque d’Yvonne. 

En cours de discussion, je m’aperçois qu’ils n’ont pas préparé leur expédition de la même façon que moi. Ils n’ont pas révisé ! Le récit de quelques aventures spéléologiques émouvantes que j’ai vécu lors de différentes explorations (voir Z), nous met dans l’ambiance de la découverte. Et c’est dans l’attente du lendemain que nous nous couchons. 

7h15, le téléphone nous réveille. C’est un livreur qui appelle. Il nous amène des bancs que nous avions commandés pour le gîte du Césame à la Combe. Nous déjeunons copieusement en l’attendant. Le dernier repas avant une expédition est toujours très important. Quand le livreur arrive, avec Michel, nous déchargeons les deux colis et les montons au gîte.
Micky et Josette arrivent à leur tour et nous partons ensembles au lieu de rendez-vous sur le parking de l’auberge de la Combe d’Arc. La tension monte d’un cran. Sur le parking il n’y a personne à part les trois voitures regroupées : la notre celle de deux personnes qui seront nos guide et celle de Dominique Baffier. Nous sommes en hiver et à cette saison, la région de Vallon n’est pas beaucoup fréquentée. 

Partie 3 : La marche d’approche 

Dominique Baffier nous accueille et nous présente nos deux guides, Charles et Paulo, agents de l’Etat qui seront nos accompagnateurs. Nous signons différents documents que nous n’avons pas le courage de lire en détail. Josette s’inquiète pour sa canne, moi pour mon carnet de note. Après discussion avec Dominique, je laisse mon carnet dans la voiture, je n’aurais pas le temps d’écrire. Cela me remet dans le contexte paradoxal de notre présent : nous partons pour une expédition sous terre avec des traces d’occupation humaine de plus de 30000 ans, mais nous n’aurons pas le temps. Il va falloir qu’en deux heures, sous l’oeil de Chronos, je mémorise un maximum d’information en complément des études scientifiques publiées. Je sais que ce sera difficile, qu’il faudra rester concentré, faire des choix. Je me sens dans la même ambiance qu’un secours spéléo. Dans de telles situations, nous avons parfois à prendre, très rapidement, des décisions qui peuvent être lourdes de conséquences.
Josette hésite à prendre sa canne, Dominique pense qu’en faisant attention elle pourra la prendre mais qu’elle devra la laisser à l’entrée de la galerie des Mégacéros… 

« La galerie des Mégacéros… Pourquoi Dominque Baffier parle-t-elle de cela ? C’est exactement là où j’ai arrêté la lecture du livre ». Cela accentue encore le suspens de la première que je me suis gardé.
J’apprends que Josette a préparé physiquement son expédition. Elle a repéré la marche d’approche le dimanche précédent avec Micky son compagnon de vie depuis plus de cinquante ans. Cela me rassure. Nos deux guides nous encadrent et nous avançons vers le Planchard. J’ai souvent parcouru ce chemin creusé en balcon naturel, au milieu de la falaise.  Cela me rappelle les nombreux touristes et stagiaires que j’ai amené sous terre dans les grottes de la région, durant plus de 10 ans. Mais, cette fois, je suis de l’autre côté, libre de toute responsabilité.
Comme le souligne Michel nous sommes décontractés. Je relève le fait qu’on aurait pu le dire en trois mots mais je suis le seul à comprendre. En tout cas personne ne relève ce jeu de mot. De toute façon, malgré les apparences, malgré l’ambiance paisible de la garrigue, nous ne sommes pas si détendu que cela. Comme nous, la tension monte.
Nous progressons lentement, au rythme de Josette, ce qui me laisse suffisamment d’oxygène pour discuter avec Paulo, un de nos accompagnateurs, afin de comprendre comment il en est arrivé là. Le passage du Château du Haut Koningsbourg où il travaillait, à la grotte Chauvet n’a pas été aussi simple que sur le papier…
Surveillé de près par Chronos, je n’ai pas le temps de faire la même chose avec Charles, l’autre accompagnateur qui ferme la marche. J’espère que l’occasion se présentera plus tard.
Avant d’arriver à la bergerie du Planchard, je m’imagine l’entrée naturelle. Celle qu’empruntait, il y a plus de 30000 ans, les hommes de l’époque, les aurignaciens. Cette entrée a été obstruée il y a plus de 20000 ans par l’effondrement d’un morceau de falaise. Elle se trouve actuellement quelque part sous la végétation. Cela me permet d’imaginer les volumes de vide derrière les falaises avant d’arriver devant la bergerie du planchard. Cette cavité utilisée jusqu’au début du XXème sciècle comme bergerie  est aujourd’hui aménagée en local technique. C’est ici qu’est entreposé tout le matériel nécessaire aux visites et à l’entretient de la grotte Chauvet.
Quand j’arrive devant l’entrée, la grille est ouverte, nos guides s’affairent aux préparatifs. 

J’en profite pour visiter cette grotte que nous parcourions à quatre pattes. Aujourd’hui l’aménagement est très bien fait. La progression se fait debout grâce à un couloir creusé dans le sol. Différents diverticules sont aménagés : l’un en penderie l’autre en local à matériel. Au fond d’une des galeries, je repère trois bidons notés des initiales de J.C., D.B. et P.R. Je pense immédiatement à Jean Clottes et Dominique Baffier, mais qui est P.R. ? Je demande à Paulo qui est ce P.R., c’était lui.
Ce petit excercice me donne confiance. En me mettant à leur place dans leurs taches respectives, je ressens l’intimité du lieu. Je m’aventure volontairement seul, sans lumière dans la galerie de la penderie, celle qui part en direction de la grotte Chauvet, pour m’immerger encore plus dans l’ambiance d’isolement, d’obscurité et de silence qu’offre les grottes. Je me sens bien. Je sais que la grotte est là derrière la parois de calcaire et que nous allons la visiter. Je reprends ma respiration et rejoins l’équipe. Ils se préparent, fixent leur combinaisons, leurs baudriers de sangle, leurs casques.
Après nous être équipés, nous avançons sur la passerelle. Charles tappe un code, échange quelques mots avec l’entreprise de surveillance, et enfin, il ouvre la porte. Paulo entre dans un petit couloir. Ils se changent en protégeant du même coup l’accès au puits et nous, nous devons choisir des chaussures installées dans des rayonnages. Je m’étonne du nombre important de ces chaussons en plastique. Je pensais que nous enfilerions des chaussons jetables par-dessus nos propres chaussures. Mais non, alors j’enlève mes chaussures et trouve chausson à mon pied. J’accepte les traces laissées par les précédents visiteurs qui comme moi se sont chaussés dans ce caoutchouc. Je commence la progression dans le boyau d’entrée. Ce passage a été bien agrandi. La progression est simple. Josette y arrivera sans problème et comme pour la marche d’approche, nos accompagnateurs surveillent tout le monde. J’observe les traces de forage, les restes de l’équipement des explorations précédentes. Il y a encore une plaquette en place et une main courrante en corde statique. Sans doute celle utilisée lors des premières explorations. Aujourd’hui, tout est équipé d’inox, câbles, échelles, passerelles. Je me laisse guider par nos accompagnateurs et descend une échelle fixe assurée par un cable. Paulo me détache pour faire descendre les suivants. Je suis dans la Grotte Chauvet, l’aventure commence.  

 

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