Quatuor Pour La Grotte Saint-Marcel

Quatuor pour la grotte Saint-Marcel

Récit d’une aventure Spéléo-Musicale

Genèse du projet :

Une nuit d’été, à la campagne. Impossible de trouver le sommeil, j’ai cette mélodie qui me trotte dans la tête, des accords. Après une incursion incognito dans la chambre de ma petite sœur pour récupérer l’unique clavier électrique de la maison, il est 1h38, j’écris le 1er mouvement du quatuor pour la grotte Saint-Marcel, « Aqualuz ». Me viennent des images de ma dernière sortie dans cet endroit si merveilleux : ses grandes courbes dans la roche, adoucies par le passage de la rivière, puis des gouttes d’eau qui tombent d’une famille de stalactites, d’immenses gours en cascade aux couleurs irréelles, une atmosphère mystérieuse et féérique. Je décris avec mes notes de musique ces incroyables paysages, les notes viennent, sans les chercher elles se proposent et s’arrangent. Il est 4h56, j’éteins le clavier et me mets au lit, je trouve le sommeil facilement.

Le lendemain, persuadée d’un mauvais rêve, je cherche les partitions, elles sont bien là, gribouillées de notes délirantes. Dans la journée je la peaufine.

Quelques jours plus tard, me vient l’idée d’un second mouvement, pour développer l’aspect rythmique de ces petites gouttes d’eau qui forment le paysage sonore du spéléologue. J’écris « Water Drop Beat ». Avec seulement le violoncelle et l’alto, accompagnées de percussions, ce mouvement est un des plus techniques, on peut le considérer comme une étude de rythme, ce qui le rend particulièrement périlleux.

Pour conclure ce quatuor, j’écris « Ballade et Majesté Minérale », le troisième et dernier mouvement, alors que sévit une énième vague de chaleur caniculaire, la clémence des températures de la grotte en devient des plus inspirante.

Le choix des instruments qui composent le quatuor n’est pas anodin, d’une part, l’alto et le violoncelle, qui sont deux instruments à cordes, or jouant moi-même d’un instrument à cordes (la contrebasse), j’ai souvent réfléchi lors de mes sorties spéléologiques, à la sensation sonore que produirait un tel instrument dans une grotte. De plus, les pizzs (mode de jeu où l’on pince la corde avec le doigt pour émettre un son) se rapprochent de la sonorité de la chute de la goutte d’eau : une attaque percussive puis une résonnance variable, où apparaissent des harmoniques. Mais les deux voix supérieures du Quatuor sont écrites pour flûte et clarinette. Ces deux instruments à vent ont une sonorité plus brillante et droite, et ces qualités de timbre seront utilisées pour retranscrire en musique l’aspect minéral. Enfin notons bien que dans un souci pratique, il s’agit des quatre instruments pratiqués par de proches amis, susceptibles de porter de l’intérêt pour un projet musico-spéléologique.

Organisation de Pré-enregistrement :

Je prends contact en Août 2019 avec la Grotte Saint-Marcel, après avoir obtenu l’accord des quatre instrumentistes concernés par le projet pour organiser une session d’enregistrement dans la grotte. Je suis alors très surprise et heureuse de l’accueil enthousiaste de Mme Dupuy, qui est intéressée par ce projet ambitieux et inédit. En effet, la démarche que je souhaite engager n’est pas de faire descendre sous terre un projet musical adapté à la grotte mais bien de construire un projet qui parte de la grotte (le morceau à été composé à partir des sensations auditives et des caractéristiques acoustiques que j’ai observées lors de ma pratique de la spéléologie), et de construire autour des contraintes du lieux une expérience musicale dédiée à la grotte. L’histoire de la musique telle qu’enseignée en Musicologie, ne permet guère de remonter au-delà du moyen âge puisqu’avant, il n’existe aucun moyen de retranscrire la musique, et que même la transmission orale n’a pas survécu aux siècles passés. Il ne nous reste donc rien de la musique de la période où l’on ornait les grottes de splendides fresques. Pourtant, ces peintures avaient une signification spirituelle importante pour nos ancêtres qui les ont réalisées, alors comment ne pas imaginer que leur création pouvait être accompagnée de musique ? Pour ma part, la notion de spiritualité dans la musique s’impose comme une évidence, et bien que ce soit là une tâche difficile, il s’agira de mettre en avant cette perspective là dans la réalisation du projet.

Avec le soutient de Mme Dupuy, nous organisons une première rencontre à la grotte, pour une présentation plus détaillée du projet, mais également pour commencer à discuter des contraintes techniques liées à la réalisation du projet. Une visite de la partie aménagée me permettra vis-à-vis de considérations acoustiques de choisir le lieu d’enregistrement, il s’agira du début de la galerie des peintres, lieu où j’identifie une reverbe pas trop longue, assez uniforme et douce. Il faudra probablement mesurer cette reverbe ainsi que la réponse en fréquence de la grotte, pour confirmer les caractéristiques acoustiques du lieu choisi. La date de l’enregistrement est fixée, du 9 au 11 novembre 2019.

Pour ce qui est du matériel, l’entreprise dans laquelle je suis stagiaire, Yes High Tech à Saint-Etienne nous fournira tout le nécessaire (cf rubrique matériel). C’est une vraie chance car nous serons très bien équipés. Mon maître de stage, Jean-Pierre Legrand, me donnera également plusieurs heures de préparation en studio pour anticiper le montage et le démontage, et maîtriser au mieux le matériel (notamment la console, une M-32, un équipement de pointe mais qui n’est pas des plus facile à maîtriser).

Grace à Mme Dupuy, nous obtenons le contact de Annie Flahau, qui nous accueillera chez elle pour la durée de l’enregistrement. Annie accueille souvent des spéléologues chez elle, elle se charge également des clés de la grotte Noël, une cavité exceptionelle que j’ai déjà eu la chance de visiter et qui a elle aussi beaucoup nourri mon imaginaire.

Notons également que je contacte par courrier et rencontre M. le Maire de Bidon afin de l’informer du projet.

Pour ce qui est des musiciens, j’ai de la chance de pouvoir compter sur mes quatre amis musiciens : Marine (Flûte traversière), Camille (Clarinette), Valentin (Alto) et Léon (Violoncelle). Nous organisons trois répétitions à l’université pour mettre le quatuor en place, en amont de l’enregistrement. Et je pourrai également compter sur l’aide précieuse de Raphaël, qui s’occupera de la direction artistique (il fait démarrer les musiciens ensemble, donne le tempo, râle quand c’est nécessaire !). De plus, deux amis spéléologues sont également très intéressés par le projet, Chloé et Alexandre, et se portent volontaires pour la manutention du matériel et la photographie. David, Maya et Syam s’occuperont de l’intendance (trajets et repas), et Valérie Gonzalez viendra me donner quelques conseils musicaux et sonores le samedi après-midi. Voilà donc une très belle équipe pour m’aider dans ce projet audacieux.

L’enregistrement

Planning Prévisionnel

Planning prévisionnel 9,10,11 novembre

09/11 9h Installation du matériel, test et mesures (réverbe, réponse fréquencielle)
10h Balances Formation II’
11h Enregistrement partie B du IIIème mouvement
12h30 Repas
14h Balances Formation II
14h30 Enregistrement IIème mouvement
10/11 9h30 Balances Formation I
10h Enregistrement A C et D Mouvement III
12h30 Pause repas
14h Enregistrement Mouvement I
11/11 9h Fin enregistrement, reprise des parties nécessaire
12h30 Pause repas
14h Reprise des derniers éléments
15h Rangement et départ

Déroulé

Arrivée le vendredi soir, Christine Martin nous accueille à Bidon pour nous conduire chez Annie qui est charmante.

Nous avons rendez-vous à 9h à la grotte avec Delphine Dupuy, responsable du site. Arrivés sur place, nous avons besoin de 3h bonnes heures de mise en place et de balance. Dans un premier temps nous descendons le matériel avec l’aide précieuse de Chloé et Alexandre. Les musiciens prennent possession des lieux et choisissent leur place. Puis nous mettons en place tout le matériel : console son, 10 micros, 2 enceintes retours. Nous effectuons les premières balances et les musiciens s’échauffent. A 12h10, nous enregistrons les premières notes du quatuor. Nous ne rencontrons pas de problème jusqu’à la pause repas qui est finalement prise à plus de 13h, néanmoins les enregistrements ne sont pas concluants. A 14h, le système d’enregistrement est remis en route et testé, les enregistrements reprennent à 14h30. Vers 15h, une pause pour poser une micro supplémentaire et re-régler les micros de proximité des instruments s’impose. A la suite de cela, les enregistrements reprennent. Vers 15h30, j’identifie un réel changement de position des musiciens, ils ont pris leurs marques et tout fonctionne, ils ne jouent plus seulement la partition mais investissent désormais réellement le projet. A ce moment, la musique se fond réellement avec le décor majestueux de la grotte et le projet prend son sens. Nous enregistrons ainsi les parties A et C du premier mouvement, composée en premier.

Le dimanche matin, nous enregistrons dès 9h30 le second mouvement, celui des gouttes d’eau ainsi que la partie B du premier mouvement, qui préfigure ce second mouvement. Pause repas à 12h30. Nous reprenons à 14h avec le 3ème mouvement, mais sommes interrompus par le passage d’un groupe de spéléologues de Villeurbanne. L’enregistrement du 3ème mouvement est très délicat, en effet il demande beaucoup de souffle pour les instruments à vent. Or comme c’est régulièrement le cas dans les grottes d’Ardèche et comme cela peut arriver à Saint-Marcel, on présume la présence de CO2. En effet, les musiciens sont anormalement essoufflés, c’est également le cas des photographes lorsqu’il déplacent le matériel. D’autre part, les instruments à vent souffrent du phénomène de condensation lié à la température qui est de 14°, en effet, la vapeur d’eau du souffle des musicienne condense de manière excessive. Et c’est sans évoquer les problèmes de justesse, les conditions hydrométriques désaccordent les instruments, notamment les instruments à cordes. Nous ne pouvons donc pas enchainer les prises, voir les fractionner pour réaccorder et permettre aux instrumentistes de reprendre leur souffle. A propos des photographes, nous avons aujourd’hui la chance d’avoir été rejoint par Thomas, qui aide Chloé et Alex à prendre des photos et vidéos. Ces vidéos devraient par la suite être montée pour le concours Spelimages.  Avant de démonter et remonter le matériel, comme c’est le cas chaque soir, je réalise sur place la mesure de réponse en fréquence et de temps de réverbération. Nous remontons ce soir là l’intégralité du matériel, le long des quelques 416 marches, pour un dénivelé de 80 m, il y a environ 100 kg de matériel assez encombrant. Je réponds également aux questions de Delphine Dupuy et de Christine Martin, pour pouvoir évoquer le projet Grotte Saint-Marcel dans une prochaine visite thématique de la grotte autour du son. Cela fera partie de l’offre pédagogique pour faire découvrir l’acoustique aux élèves de terminale.

Le lundi, je réalise une autre série de mesure : réponse en fréquence et de temps de réverbération à plusieurs endroits de la partie aménagée. J’enregistre la cascade d’eau de l’escalier et d’autres bruitages qui me paraissent intéressants. Puis les musiciens réalisent quelques improvisations enregistrées. Enfin nous plions définitivement bagage, l’aventure est terminée mais elle laissera à tout le monde de très beaux souvenirs (peut-être moins à l’alto de Valentin dont l’âme tombera trois jours plus tard). C’est le début pour moi d’un très long et laborieux travail de mixage des enregistrement, d’analyse des données…

Matériel

Patch

Le patch est l’équivalent de la fiche d’équipement en spéléologie

Entrées
1 Flûte / Tambourin DPA Kit de pinces Piano et Vents
2 Clarinette / Marimba DPA
3 Alto DPA Pince Violon
4 Violoncelle DPA Pince Mandoline
5 Couple AB MBHO 440 Pinces et barre de couplage
6 MBHO 440
7 Micro mi-distance MBHO CL 608 Pince
8 Couple ORTF MBHO 440 Pinces et barre de couplage
9 MBHO 440
10 Micro Mesure MBHO 550 EL Pince
Aux 1 Métronome Bidouille Mono
Aux 2 Micro d’ordre SM58 Pince
Sorties
USB PC Nuendo
1 Retour G Yamaha Stagepas 400i
2 Retour D

Mesures Physiques des caractéristiques acoustiques de la grotte

Temps de réverbération

Définition

La réverbération d’un son correspond au phénomène suivant : un son est émis, ma voix dans la grotte par exemple ; ce son se propage et se réfléchit (rebondit) sur les parois de la grotte, plusieurs fois éventuellement s’il rencontre plusieurs parois, avant de revenir à mes oreilles. Or le son ne se propage pas instantanément (pour donner un ordre d’idée, à 14°, 95% d’humidité, le son se propage à 340 m/s), donc au long de son trajet il prend du retard par rapport au son qui voyage directement de la source d’émission (ma voix), à mes oreilles ; c’est ce retard qui donne la sensation que le son perdure. La réverbération d’un espace architectural dépend de la géométrie et des matériaux, les surfaces dures et lisses sont réfléchissantes.

Pour donner un ordre d’idée,

  • studio d’enregistrement : 0,3 s
  • hall ou un quai de gare :entre 1,5 et 3 s
  • nef de cathédrale : une dizaine de secondes.

Mesures

Sur le lieu d’enregistrement

On émet une impulsion (bruit blanc pour une durée de 0.3 s), et on mesure le temps entre l’émission du bruit et la fin de la résonnance de la grotte.

Il est difficile d’estimer sur l’acquisition où prends fin la résonnance, c’est pourquoi, on réalise la mesure plusieurs fois, avec différents micros, et on réalise également une série de mesure avec une technique plus empirique (les oreilles et un chronomètre). Finalement, les mesures informatiques s’accordent autour de la valeur de 2,45s, qui est la valeur mesurée avec le micro de mesure. Pour ce qui est des mesures « à la main », on s’accorde sur 2,6 s. On peu estimer que la valeur réelle est entre les deux, et noter que la précision de nos mesures n’est pas très bonne (de l’ordre de 150ms).

Autres mesures

Au pied du grand escalier de l’entrée aménagée, on mesure un temps de réverbération de 2,1 s.

Au sommet de la cascade de gours, nous mesurons un temps de réverbération de 3,8 s.

Réponse en fréquence

Définition

La réponse en fréquence correspond au comportement de la grotte dans notre cas vis-à-vis des fréquences sonores audibles. En effet, à chaque lieu architectural correspond des fréquences amplifiées ou atténuées par le lieu.

Mesure

Pour mesurer la réponse en fréquence, on émet un bruit blanc, un bruit blanc étant un son pour lequel la densité spectrale de puissance est la même pour toutes les fréquences (toutes les fréquences sont émises avec la même puissance). On présume que le système de diffusion du bruit blanc est lui-même linéaire invariant.

On obtient sur le lieu d’enregistrement :

Pics d’amplification 200 Hz 2k Hz 15k Hz
Pics d’atténuation 165 Hz 1h72 Hz 14k1 Hz

On observe une réponse en fréquence relativement régulière, ce qui confirme que le lieu est acoustiquement viable pour un enregistrement. En effet, en termes de magnitude les pics et les creux sont très légers comparé à ce qui suit (rapport de 1/5)

Au niveau de l’escalier de l’entrée aménagée :

Pics d’amplification 138 Hz 550 Hz 2k6 Hz 15k1 Hz
Pics d’atténuation 266 Hz 1k06 Hz 7k34 Hz

On observe un rapport de 1/3 pour ce qui est de la magnitude

En haut de la cascade de gours : La réponse en fréquence est beaucoup moins régulière, on repère donc seulement les fréquences amplifiées :

150 Hz 990 Hz 1k97 Hz 4k37 Hz 7k09 Hz 15k7 Hz

On observe un rapport de ½ pour ce qui est de la magnitude.

On mesure donc pour les deux autres points de mesure des réponses en fréquence beaucoup moins régulières, ce qui d’un point de vue scientifique confirme le choix du lieu où nous avons enregistré.

Remerciements

Le Projet Quatuor pour la Grotte Saint-Marcel, un beau moment de musique, de spéléologie mais aussi de solidarité et de partage. Merci à tous pour cette très belle et fructueuse collaboration.

  • Flûte : Marine Jambois
  • Clarinette : Camille Urban
  • Alto : Valentin Lévy-Chaudet
  • Violoncelle : Léon Monnier
  • Direction Artistique : Raphaël Vanchéri
  • Composition et prise de son : Luna Valentin
  • Conseils avisés de Valérie Gonzalez
  • Intendance : Maya, David et Syam Valentin
  • Photo/Vidéo : Chloé Valette, Alexandre Friez, Thomas Boileau
  • Prêt de matériel son : Yes High Tech
  • Merci à la Grotte Saint-Marcel pour son accueil chaleureux (Delphine Dupuy, Christine Martin)
  • Merci à Annie Flahaut de nous avoir généreusement hébergés

A retrouver sur le WEB:

Playlist « Projet Quatuor pour la Grotte Saint-Marcel »:
https://www.youtube.com/playlist?list=PL_ylWkJN699eWIV1PeHIZkZpPLqTCb3CG
Vidéo du Quatuor dans son intégralité, montée avec les bruitages qui ont été sujets à une captation audio lors du WE d’enregistrement (notamment la cascade d’entrée), et également les vidéos et photos réalisées par Chloé Valette, Alexandre Friez et Thomas Boileau.
https://www.youtube.com/watch?v=GXZv0yOwg1o&list=PL_ylWkJN699eWIV1PeHIZkZpPLqTCb3CG&index=2&t=0s
Audio des mouvements séparés + piste bonus d’improvisation chantée que j’ai greffée au projet:
Mouvement 1 : https://www.youtube.com/watch?v=1cu9tD8Ub1U
Mouvement 2 : https://www.youtube.com/watch?v=U-2Tbrdo-ng
Mouvement 3 : https://www.youtube.com/watch?v=O-7_jjKWZmY
Piste Bonus : https://www.youtube.com/watch?v=OLv779GoRYU
Et enfin la vidéo de Grégoire Limagne reprenant des éléments de l’interview:
https://www.youtube.com/watch?v=DgVB1HZFYPE

A bientôt pour de prochaines aventures.

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